Islam radical: quel combat ?

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Islam radical: quel combat ?

Les pourfendeurs de l’Islam radical font les mêmes erreurs que les socio-démocrates allemands qui tournaient en ridicule Hitler ou conspuaient les actions violentes des SA, sans prendre le temps de réfléchir comme le souhaitait l’auteur du "Viol des Foules" Tchakhotine, à ce qui faisait le succès de la propagande nazie.

Présenter l’Islam radical comme la propagande social-démocrate et communiste dépeignait le nazisme serait une erreur fatale. Comme l’écrivait George Orwell avant la guerre : « « Le fascisme n’est qu’une atrocité absurde, une aberration, un « sadisme de masse », le genre de choses qui pourraient se produire si l’on ouvrait les portes de l’asile à une horde de fous homicides. Présentez le fascisme sous ce jour, et vous arriverez à mobiliser, un certain temps tout au moins, l’opinion publique contre lui sans susciter pour autant le moindre mouvement révolutionnaire. » (1)

Il s’agit aujourd’hui moins d’un combat révolutionnaire que d’une résistance à ce que j’appellerai la séduction totalitaire.
On a oublié quelle fut la séduction du totalitarisme auprès de masses déboussolées, vaincues, en quête de sens et de dignité. On a oublié ces foules sincèrement enthousiastes, mobilisées avec ferveur pour des chefs charismatiques comme Hitler, Staline, Lénine, Mao…
On a oublié à quel point le besoin de dignité pouvait être satisfait par l’honneur d’être un prolétaire soviétique, un fasciste défilant en chemise noire, un garde rouge de la révolution culturelle, un aryen de race pure, un musulman d’une Oumma en passe de venger les humiliations infligées par les ennemis de l’Islam…
On a oublié la force du sentiment de victimisation qui fait voir le Mal en dehors de son propre groupe. Le journal nazi der Völkischer Beobachter écrivait en 1933 que les juifs étaient un peuple génocidaire (Völkermassmörder) et qu’il fallait agir avant qu’ils n’exterminent le peuple allemand. C’est ce que disaient également les Hutus des Tutsis qu’ils s’apprêtaient à massacrer.
On a oublié la séduction du totalitarisme qui, au moins à ses débuts, crée un élan collectif et adoucit souvent les injustices sociales, au prix de la fabrication de boucs émissaires.

La séduction totalitaire est toujours présente chez l’être humain, en particulier dans les périodes d’incertitude et de chaos, où la société se transforme trop rapidement sans que les individus soient préparés à affronter ces changements brutaux.
D’un autre côté, il faut bien voir que la détestation de l’Occident et du libéralisme, point commun à tous ces mouvements totalitaires du passé et du présent, repose sur des réalités incontestables. Et je ne parle pas seulement des inégalités sociales, de l’argent-roi ou du vide spirituel.

Ma longue expérience dans les banlieues françaises m’a montré comment la nouvelle religiosité de beaucoup de nos concitoyens musulmans et à la suite les propagandes antisémites et anti-républicaines de l’Islam radical ont réussi peu à peu à remplir le vide laissé par l’incapacité de nos institutions républicaines à faire face au changement de civilisation apporté par l’immigration de masse (mais pas seulement bien sûr) et aux crises multiples de la société contemporaine.

On ne pourra pas lutter contre ces nouvelles formes de totalitarisme qu’en examinant les responsabilités de nos institutions sociales et politiques qui n’ont pas su donner du sens et accompagner les individus désarçonnés, troublés et démunis. Pendant des années, j’ai le sentiment d’avoir crié dans le désert, en prédisant les dangers à venir et en proposant des outils d’intervention. Les banlieues ont été victimes d’idéologies contradictoires et antagonistes qui ont empêché la prise en compte de la complexité de ces villes où s’étaient rassemblées par la force des choses et les choix politiques des populations qui devaient vivre ensemble. (2)

Comment lutter alors contre le totalitarisme, tel qu’il se présente sous ses formes les plus assumées en Orient et les plus masquées en Occident, ce totalitarisme qui, comme toujours, nous propose de créer une société parfaite qui éliminerait définitivement les fauteurs du Mal, coupables de tous les maux de l’humanité.
Cette lutte est nécessaire, car on ne peut établir une équivalence entre une société capitaliste, « ses horreurs économiques », et ses injustices, sa folie de consommation et de divertissement et une société totalitaire dans laquelle il n’y aurait aucun espace de liberté, aucune possibilité de débats contradictoires.

La guerre est-elle inévitable ? George Orwell – encore lui – après avoir participé à la guerre civile espagnole – écrivait ces mots terribles :
« Le seul choix qui s’offre apparemment à nous, c’est de réduire en poussière les maisons, faire éclater les entrailles des hommes et déchiqueter des corps d’enfants avec des explosifs, ou bien de nous laisser réduire en esclavage par des gens à qui ce genre d’activité répugne moins qu’à nous. Jusqu’ici, personne n’a proposé de solution pratique pour échapper à ce dilemme. » (3)
Encore une fois, on ne peut se contenter de condamner ce nouveau totalitarisme en cherchant à démontrer ses absurdités et ses incohérences. On ne peut se contenter non plus de se préparer à lui faire une guerre, dont de toutes façons, l’issue est incertaine. On doit regarder de très près de quoi est faite la séduction totalitaire, comprendre les aspirations légitimes auxquelles elle apporte une réponse et se mettre au travail pour réparer du mieux possible une société démocratique, trop faible peut-être aujourd’hui pour résister efficacement.

Charles Rojzman

(1) George Orwell : essais, articles, lettres, volume I, trad.fr. editions Ivrea 1995 p .436
(2) Charles Rojzman : Savoir vivre ensemble, La Découverte Poche 2001
(3) George Orwell : essais, articles, lettres, volume I, trad.fr. editions Ivrea 1995 p .374

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