019- À propos d'une réaction au mot Dealer

Tu m’as écrit pour m’insulter, raillant par tes propos amers la définition du mot dealer que j’ai rédigée pour mes mots. Dans ton message, tu m’as traité de moralisateur de bas étage, de curé de campagne, de bonne femme (là, par contre, je me demande bien ce que cela signifie dans le contexte). Tout ça parce je m’en suis pris, non seulement aux dealers, mais aussi à ceux qui les encouragent, notamment en achetant leurs produits pour les consommer. Né avant 1960, tu trouves ça cool, toi, de fumer un joint, de sniffer une ligne de coke, de croquer une pilule de temps en temps. Un peu comme ceux qui veulent que l’eau coule naturellement de leurs robinets sans vouloir savoir comment elle parvient jusque eux, tu ne te demandes jamais comme elle te parvient, ta dope. Et quand, moi, je te dis, chiffres à l’appui, que plus de la moitié de toute la criminalité est liée au trafic des stupéfiants, que la violence de la rue en est une conséquence palpable, sans compter la prostitution (pas celle des escortes, non, mais celle du trottoir, la plus sordide, la plus dangereuse, celle qui est d’ailleurs pratiquée, la plupart du temps, par des toxicomanes), tu trouves que j’exagère, que je cherche à culpabiliser les gens, à leur ôter un plaisir de plus dans la vie.

Je comprends qu’il est inutile de poursuivre. Pourtant, nous venons du même quartier, du même milieu, toi et moi. Ton père, comme le mien, a travaillé dans les usines de Montréal-Est  pour faire vivre sa famille. Et ta mère a fait des petits boulots d’appoint, comme la mienne. Alors, tu sais autant que moi ce qu’il est advenu des camarades du quartier. Michel Bessette, tu te rappelles? Ce gars de la 6e avenue qui, à son troisième trip d’acide, s’est immolé devant chez lui, criant qu’il mourait pour que la vérité éclate au grand jour. On n’a jamais su de quelle vérité il s’agissait, vu qu’il est mort dans l’opération. Et Alain Dupuis, ça te dit quelque chose? Ce gars de la 13e avenue s’est réveillé un matin et s’est assis en tailleur devant le mur blanc de sa chambre, le contemplant comme s’il s’agissait d’un paysage tibétain. Au bout de douze heures, il a dit à ses parents qu’il avait un problème… et il a été interné à l'hôpital Louis-H. Lafontaine. On l’a revu quelques années plus tard, complètement transformé. Jamais on n’a retrouvé le camarade qu’on avait connu, celui qui prenait un coup fort et décapsulait sa mescaline pour la mélanger à sa bière. Et puis il y a Lina Moretti aussi, cette fille si belle avant qu'elle ne se tonde le crâne avant de plonger dans les eaux glacées du fleuve. Et Jason Boileau. Et Luc Larivière. Et bien d'autres…

Tu as vieilli, mon grand. Tu as l’air cool, c’est vrai, avec ta queue grise de cheval. Un mec cool qui passe sa vie entre Outremont, où tu as un appart, et Magog, où tu as ton chalet.  Viens te balader dans le quadrilatère compris entre les rues Amherst, Viger, St-Laurent et Ontario, et tu en verras plein de dealers et des junkies. Peut-être, alors, que tu cesseras de m’insulter, toi qui as déjà vécu, en moyenne, deux à trois fois plus longtemps que ces gens-là sur lesquels, toutefois, je ne pleurerai pas.

Tu n'es pas obligé de me répondre, tu sais. Surtout, tu n'es pas obligé de me lire. Reste chez toi, prend ta coke, cette coke qui a transité dans le cul d'une mule avant de s'insérer dans tes narines.

Août 2023


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