Le murmure de New York s’est tu

Une belle et touchante chronique de New York au temps du covid-19 de Reggie Nadelson dans le New York Times. Extrait.

“SoHo n’a pas changé depuis quarante ans”, assure Sasha Noe, propriétaire du Fanelli’s, l’un des bars les plus anciens et les plus chaleureux du quartier. C’est dans cet établissement, à l’angle de Prince Street et Mercer Street, que je prends souvent mon petit déjeuner. Il n’y a pas si longtemps, on y servait encore des œufs au bacon le matin, des hamburgers et du chili en milieu de journée. Mais le 15 mars, lorsque la municipalité a décrété que les restaurants ne pouvaient plus proposer que des plats à emporter ou à livrer, il a fermé. À l’époque des attentats du 11 Septembre et de l’ouragan Sandy, il était resté ouvert et son enseigne à néon était un phare accueillant ; désormais, comme presque tous les autres commerces de SoHo, il a baissé son rideau. Même les boutiques chics – Louis Vuitton, Fendi et les autres – qui donnent normalement un petit côté glamour au quartier ont barricadé leurs vitrines pour protéger les sacs à main.

“Nous n’avons jamais fait de vente à emporter”, explique Noe qui, lorsqu’il ne garde pas ses trois enfants, s’occupe depuis quinze jours à faire de menues réparations dans son restaurant, discuter avec ses fournisseurs, envoyer ce qu’il reste dans ses frigidaires au refuge voisin pour sans-abri de la Bowery Mission, et cherche moyen de payer l’ensemble de son personnel – ce qu’il compte bien faire tant qu’il le pourra. À deux blocs de là, sur Prince Street, le Raoul’s, qui depuis son ouverture en 1975 régale les New-Yorkais de son steak au poivre, a également fermé ses portes. Son propriétaire, Karim Raoul (le fils du premier Monsieur Raoul), qui vit au-dessus du restaurant, a essayé de maintenir les plats à emporter, mais ne veut pas mettre ses employés en danger. D’ailleurs, il ne trouvait plus le bon pain pour ses burgers. “Or l’essentiel, c’est toujours le pain”, souligne-t-il. Et pour ne rien arranger, à l’heure où j’écris ces lignes, il vient de rentrer de l’hôpital avec son épouse et leur nouveau-né.

New York plongé dans le calme

Noe a raison : SoHo est pratiquement désert, un peu comme dans les années 1980, à ceci près qu’à l’époque il y avait davantage de graffitis sur les murs et que les boulangeries du coin crachaient de la fumée toute la nuit. De ma fenêtre, à sept heures du matin, le quartier ressemble à ce qu’il a toujours été aux petites heures du jour. Le soleil s’est levé. Les immeubles en fonte aux façades habillées de blanc n’ont sans doute pas beaucoup changé depuis l’époque où, dans les années 1870 et 1880, ils furent construits par de riches négociants pour servir d’entrepôts clinquants à souhait. [...]

Auteur : Reggie Nadelson

Reggie Nadelson est une journaliste new-yorkaise qui écrit notamment pour The New York Times. Elle est aussi romancière et a écrit des séries policières.

Source : Le murmure de New York s’est tu | New York Times (En anglais).


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