Liens publicitaires : suggérer, est-ce contrefaire ?

La responsabilité de Google du fait de la présence de marques de tiers dans les mots-clés que son outil de suggestion (1)
(1)

Ou « générateur de mots-clés »
propose aux annonceurs est une question épineuse qui a partagé les tribunaux. Dans l’affaire qui oppose le Gifam et ses membres aux sociétés Google, la 4e chambre, section B de la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt (2)

(2)
CA Paris, 4e ch., sect. B, 1er février 2008, Gifam et autres c/ Google France, Google Inc., Google Ireland Ltd., RLDI 2008/35, nº 1177, obs. Costes L. ; voir Tardieu-Guignes E., Liens commerciaux : contrefaçon ou non ? À la recherche d’une solution convaincante..., supra, nº 1194 ; qui sur cet aspect condamne le prestataire de liens publicitaires pour contrefaçon.

Conseil en Propriété Industrielle Cabinet Plasseraud
En première instance, le jugement avait marqué les esprits en retenant que Google avait commis une faute « en ne mettant pas en place un dispositif de contrôle a priori de la licéité de l’utilisation par ses annonceurs dans le système Adwords de mots-clés constituant des signes, objet de droit privatif de tiers ».

Le Tribunal avait alors condamné le prestataire de liens publicitaires sur la base de la responsabilité civile, après avoir écarté la contrefaçon en ce qui concerne la présentation de marques de tiers dans l’outil de suggestion de mots-clés. Aux yeux des juges de première instance, par ce biais « la société Google ne fait pas un usage illicite de marques car lorsque l’outil suggère le nom d’une marque, Google ne sait pas a priori si l’annonceur va choisir cette marque et dans l’hypothèse d’un choix si son client est autorisé à l’utiliser par exemple en tant que distributeur de produits authentiques ou licencié ».
L’arrêt, s’il abandonne toute référence à un tel dispositif de contrôle n’en reste pas moins strict à l’égard de Google. Le total du montant des dommages et intérêts alloués aux demandeurs dépasse les 300 000 euros, ordre de grandeur comparable à la sanction infligée en appel dans l’affaire Vuitton (1) .
Alors que plusieurs tribunaux, dont les trois sections de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris, ont progressivement adopté une jurisprudence inverse, c’est le retour à la solution initialement retenue dans les premières affaires relatives aux liens publicitaires qui prévaut. Ce mouvement de balancier traduit un manque de stabilité et de cohérence d’une jurisprudence qui risque de continuer à se chercher.

C’est l’appréciation des notions d’usage de marque dans le commerce, et en filigrane de protection de la fonction essentielle de la marque, qui sont ici en jeu.
C’est l’appréciation des notions d’usage de marque dans le commerce, et en filigrane de protection de la fonction essentielle de la marque, qui sont ici en jeu. La présente affaire soulève un autre problème, celui de la liberté d’usage des marques par les tiers lorsque peuvent jouer des exceptions au monopole qui leur est attaché ; ces exceptions peuvent être implicites (C. propr. intell., art. L. 713-6 (2) ) ou explicites (autorisation d’usage donnée par contrat).

Pour mémoire, dans cette affaire, plus d’une vingtaine d’industriels de l’électroménager intervenaient aux côtés du Groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménager (Gifam), en invoquant des droits sur leurs marques (dont la renommée était mise en avant), noms de domaine et dénominations sociales. Étaient formulés à l’encontre de la société Google France des griefs visant l’usage de ces signes distinctifs par Google dans l’outil de suggestion de mots-clés et pour l’affichage des annonces, ainsi que le caractère mensonger des publicités apparaissant sous une bannière « liens commerciaux ».

La défense de Google consistait non seulement à contester que les faits reprochés constituaient un usage à titre commercial des marques et à nier sa responsabilité, mais également à dénoncer l’action du Gifam et de ses membres comme une entente ayant pour effet de restreindre la concurrence sur internet « en privant les opérateurs concernés d’un important moyen de promouvoir leur offre commerciale auprès des internautes opérant une recherche sur le site Google et qui sont précisément intéressés par ces marques ».

Le jugement écartait les griefs de contrefaçon et d’atteinte aux autres signes distinctifs invoqués mais retenait que la responsabilité civile de Google était engagée « du fait de son absence d’examen préalable de la licéité de l’usage par les annonceurs des 32 mots-clés en cause et ce d’autant que les signes incriminés sont toutes des marques renommées dans le domaine de l’électroménager, ce qui facilitait son contrôle préalable ».

En appel, les sociétés Google Inc. et Google Ireland Ltd., défenderesses en intervention forcée, formulaient une demande de saisine du Conseil de la concurrence visant à obtenir un avis concernant la licéité des agissements qu’elles reprochaient à leurs adversaires.

L’arrêt infirme le jugement, retenant à l’inverse que « les sociétés Google en proposant aux annonceurs l’usage, comme mots-clés, des signes (...) déposés à titre de marque (...) ont commis des actes de contrefaçon au préjudice des sociétés appelantes qui en sont titulaires ». En revanche, en ce qui concerne l’affichage des annonces publicitaires, l’atteinte aux marques n’est pas caractérisée aux yeux de la Cour. En effet, il apparaît qu’un certain nombre d’annonces visaient à promouvoir une activité en liaison avec des produits authentiques et ainsi faire usage des marques en cause, notamment sous le couvert des dispositions de l’article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle, car « nombre des annonces litigieuses sont le fait d’éditeurs de services de comparaison de prix et de recherche d’enchères ».

Enfin, l’arrêt retient l’existence d’actes de publicité mensongère.

I. - RESPONSABILITÉ DU PRESTATAIRE QUANT À L’OUTIL DE SUGGESTION : ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE

Après un certain assouplissement de la position des tribunaux, se traduisant par un refus de qualifier de contrefaçon le fait que l’outil de suggestion de mots-clés de Google propose les marques de tiers aux annonceurs (bien que la responsabilité civile soit retenue), c’est un retour à la position stricte des premières décisions rendues en la matière que l’on constate nettement dans les récents arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (3) et dans l’arrêt parisien de l’espèce.
Un aperçu des décisions rendues depuis 2004 permet de retracer cette évolution.

Le jugement du 14 décembre 2004 dans l’affaire CNRRH (4) retient que la marque Eurochallenges « était proposée comme mot-clé similaire en "requête large" aux clients commerciaux potentiels ayant sélectionné le mot-clé "rencontre". La marque est donc bien proposée par Google et non choisie par le client seul ». Le Tribunal constate que « la marque a été servilement reproduite par Google pour des services identiques à ceux protégés » et « que la société Google en proposant à des annonceurs la marque Eurochallenges sans l’autorisation de son propriétaire Pierre Alexis T. et pour des produits et services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement s’est rendu coupable de faits de contrefaçon sur le fondement de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ».

C’est un retour à la position stricte des premières décisions rendues en la matière que l’on constate nettement dans les récents arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et dans l’arrêt parisien de l’espèce.

Dans cette affaire, l’arrêt rendu le 23 mars 2006 (5) confirme la condamnation de Google pour contrefaçon, par des motifs qui ne développent l’aspect lié à l’outil de suggestion de mots-clés. Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Un jugement du 24 juin 2006 (6) amène également les juges à se prononcer sur la responsabilité de Google au regard du fonctionnement et des résultats fournis par son outil de suggestion de mots-clés. On y retrouve les quatre éléments qui déterminent la solution : une matérialité de l’usage de la marque, caractérisée par son affichage à l’écran (« Attendu que, dans le cadre de ce service de générateur de mots-clés, c’est Google et non pas l’annonceur qui fait apparaître à l’écran le terme litigieux » ; « si, in fine, c’est l’annonceur qui choisira les mots-clés et les termes de son annonce, il demeure que la société Google joue un rôle actif en lui proposant et même en l’incitant à choisir tels ou tels termes à titre de mots clés, au regard de l’activité qu’il poursuit »), la nature commerciale de cet usage (liée à la perception de revenus par Google), un contexte d’apparition de la marque qui correspond aux produits et services pour lesquels la marque est enregistrée (« l’apparition de ce signe est réalisée en fonction de l’activité menée par l’annonceur ; (...) il s’agit, en effet, pour Google de proposer des mots-clés pertinents ») et la présentation incitative des mots-clés fournis par l’outil de suggestion (« en l’espèce, Google a suggéré à la société Espace 2001 de choisir divers mots-clés parmi lesquels figurait le signe "Amen" »). La contrefaçon est ainsi caractérisée.
Enfin, dans l’affaire Bourse des Vols, le sujet est abordé par la Cour d’appel de Versailles. Son arrêt (7) confirme le jugement rendu, le 13 octobre 2003, par le Tribunal de grande instance de Nanterre qui condamnait Google pour contrefaçon. Si le jugement n’évoquait pas l’outil de suggestion de mots-clés, la Cour relève que « la société Google France, alors même qu’elle aurait légitimement ignoré que les sociétés Viaticum et Luteciel étaient titulaires des marques litigieuses, ne pouvait pas proposer dans son outil de suggestion de mots-clés l’achat des mots-clés "bourse aux voyages" ou "bourse de voyages" ou encore "bdv.com", sous prétexte qu’ils figuraient parmi les plus souvent demandés, sans s’être livrée à une recherche sérieuse des droits éventuels de tiers sur ces mots ».

Après l’été 2005 (8) , le revirement est marqué par un jugement du 8 décembre 2005 (9) : la même section du Tribunal de grande instance de Paris (10) rejette alors le grief de contrefaçon à l’encontre de l’outil de suggestion de mots-clés de Google, aux motifs que « le fait pour [Google] de proposer un mot-clé à un annonceur ne réalise pas un acte de contrefaçon ; qu’en effet, si Google utilise la marque "Kertel" pour référencer et présenter les liens commerciaux de l’annonceur, en l’espèce la société Cartephone, cet usage du signe ne s’accompagne d’aucune proposition de produits ou services visés à l’enregistrement de la marque opposée mais participe d’une activité de prestataire de services de publicité ».

La tournure « participe d’une activité de prestataire... » n’est pas sans une certaine subtilité en ce sens qu’elle semble s’éloigner de la notion d’usage à titre de marque. Mais, en réalité, si la contrefaçon est écartée, c’est en application du principe de spécialité car de cette constatation, le jugement tire la conclusion suivante : « l’identité de produits ou services à ceux désignés dans l’enregistrement exigée par l’article L. 713-2 précité n’est donc pas réalisée ».

Autrement dit, si les tribunaux écartent la contrefaçon en suivant ce courant amorcé en décembre 2005, c’est parce qu’ils estiment que le principe de spécialité qui limite la portée des droits attachés à une marque constitue une frontière que Google n’a pas franchie.

Et donc, a contrario, si l’on est en présence d’une marque enregistrée pour des services publicitaires, le juge devrait retenir la contrefaçon. La situation s’est effectivement présentée.

Par un jugement du 31 octobre 2006 (11) , la première section de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris exposait dans son raisonnement retenir des principes identiques à ceux du jugement Kertel pour apprécier si le fonctionnement de l’outil de suggestion au regard des marques en cause pouvait être considéré comme contrefaisant. Certaines de ces marques n’ayant effectivement rien à voir avec la publicité, la contrefaçon est écartée. L’une des marques pourtant est enregistrée en classe 35 pour des services concernant « la publicité, la gestion de fichiers informatique, la location de temps d’accès à un centre serveur de base de données ».
Le Tribunal qui décidément n’entendait pas admettre la contrefaçon n’hésitera pas à affirmer que « [l]’activité de régie publicitaire [de Google] n’est pas une activité de publicité mais de mise à disposition à des clients d’espaces publicitaires » ! Autant vider de son sens la notion de lien de similarité...

Dans la même veine, un jugement de la deuxième section de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris (12) applique toujours le même principe et retient cette fois-ci la contrefaçon car la marque invoquée était enregistrée pour des services de... télécommunications, jugés similaires aux services proposés par la société Google France (13) !

Si la façon d’appréhender la qualification du fonctionnement du générateur de mots-clés par ce courant jurisprudentiel peut sembler moins sévère à l’égard de Google, il n’en demeure pas moins qu’à défaut de contrefaçon, la responsabilité civile du prestataire est retenue, pour avoir proposé un signe protégé en tant que marque « à titre de mot-clé, en n’effectuant aucun contrôle préalable des mots-clés réservés par ses clients et susceptibles de porter atteinte aux droits détenus par des tiers » (14) .

Il est généralement admis par les différents tribunaux que la matérialité de l’usage se traduit par l’affichage de la marque à l’écran, parmi les résultats de l’outil de suggestion de mots-clés.

Le même raisonnement et la même solution ont à nouveau été mis en œuvre par la deuxième section de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris le 27 avril 2006 (15) , puis par d’autres juges du Tribunal de grande instance de Paris (16) , du Tribunal de grande instance de Strasbourg (17) et par le Tribunal de commerce de Paris (18) .

Cette évolution de la jurisprudence des tribunaux depuis l’affaire Kertel est en contradiction totale avec la position jusqu’à présent constante des juridictions d’appel (19) qui ont systématiquement retenu la contrefaçon. Sans doute une question préjudicielle ne serait pas inutile pour éclairer les juridictions nationales et harmoniser la jurisprudence (20) .
Que les décisions relèvent schématiquement du courant développé par les tribunaux ou de celui des cours d’appels, on peut résumer le raisonnement suivi par l’ensemble des juges à trois questions :

l’affichage du nom d’une marque parmi les mots-clés constitue-t-il un usage de la marque par la régie publicitaire ? ;
le cas échéant, cet usage intervient-il dans la vie des affaires ? ;

le cas échéant, cet usage dans la vie des affaires intervient-il dans le domaine de spécialité de la marque ?

C’est essentiellement la réponse apportée à la troisième question qui distingue les deux tendances.
La première question se résume pour les juges à pouvoir mettre en avant un acte matériel de la part du prestataire. La dématérialisation propre au réseau n’est pas ici une difficulté : il est généralement admis par les différents tribunaux que la matérialité de l’usage se traduit par l’affichage de la marque à l’écran, parmi les résultats de l’outil de suggestion de mots-clés.

La deuxième question vise à déterminer si l’usage intervient dans la sphère commerciale. La directive nº 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques énonce, dans son article 5, que le droit exclusif attaché à la marque habilite son titulaire « à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires » d’un signe identique pour des produits ou services identiques ou d’un signe « pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion ». Le même article précise que l’interdiction peut notamment porter sur l’utilisation du signe « dans la publicité ».

La notion d’usage « dans la vie des affaires » a été précisée par la Cour de justice des Communautés européennes. Dans son arrêt « Arsenal / Reed » (21) , la CJCE rappelle que « l’usage du signe identique a bien lieu dans la vie des affaires, dès lors qu’il se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé » (§ 40). On peut constater que l’activité de régie publicitaire de Google vise à lui procurer un avantage économique, et admettre par conséquent que lorsque Google fait usage d’une marque, cet usage intervient bien dans le contexte d’une activité économique, donc « dans la vie des affaires ».
Reste la troisième question, celle qui touche une limite essentielle de la protection d’une marque : le principe de spécialité.

Si l’usage commercial est admis, il est difficile de soutenir que l’on se trouve dans un domaine de spécialité autre que celui de la marque.

En effet, on touche bien dans le principe de la « publicité contextuelle » (expression souvent mise en avant par Google), à un lien qui associe les annonces publicitaires au contexte sémantique du secteur d’activité de l’annonceur. Tel est précisément tout l’intérêt du système des liens AdSense/AdWords, qui vise à cibler très précisément l’affichage d’annonces publicitaires auprès du public.

Comme indiqué dans la motivation du jugement Kertel précité, c’est la nature publicitaire de l’activité de Google qui conduit à faire jouer le principe de spécialité en défaveur du titulaire des droits de marque dans les jugements qui ont suivi.
Toutefois, on peut continuer à s’interroger sur la pertinence de ce raisonnement : si la société Google exerce une activité de régie publicitaire, les marques des tiers dont cette régie publicitaire fait usage dans la sphère commerciale, via son outil de suggestion ou pour l’affichage des annonces, ne sont pas exactement utilisées pour désigner les services publicitaires de Google (22) .

Or, quand il s’agit d’apprécier si une société est responsable de la contrefaçon d’une marque, l’évaluation doit surtout être fonction du lien de similarité entre, d’une part, les produits et services pour lesquels la marque est enregistrée, et d’autre part, les produits et services pour lesquels le présumé contrefacteur en fait usage.

Si « Google n’est pas une agence matrimoniale » (23) - ou un fabricant d’électroménager -, il n’en demeure pas moins que ses outils de suggestion avancent - parmi divers mots-clés - des noms de marques d’électroménager à qui veut passer des annonces dans ce domaine et indiquent des noms de marques d’agences matrimoniales à qui recherche des mots-clés pour faire de la publicité dans ce créneau.

En ce sens, l’arrêt de l’espèce souligne que « lorsque l’annonceur sollicite le générateur de mots-clés, il s’interroge sur le ou les mots-clés les plus pertinents pour faciliter la consultation de son site et ce, en fonction de l’activité qu’il y développe ou du moins qu’il veut y développer ;
En rejetant l’action en concurrence déloyale après avoir fait droit à l’action en contrefaçon, la Cour semble manquer de cohérence car ce sont le plus souvent les mêmes termes ou expressions qui sont protégés.

Qu’il interroge donc le service de Google par rapport à un produit ou à un ensemble de produits désignés ».
De ces éléments, l’arrêt conclut, ensuite, que « l’usage de ces signes déposés à titre de marques est dès lors bien un usage à titre de marque, c’est-à-dire dans la fonction d’individualisation de produits ou services ». La formulation de cette motivation n’est pas éloignée de celle du jugement rendu dans l’affaire Amen c/ Espace 2001 déjà citée plus haut (24) .

II. - REJET DE LA CONCURRENCE DÉLOYALE

Alors qu’en plus de leurs marques les membres du Gifam invoquaient les droits attachés à leurs dénominations sociales, noms commerciaux et noms de domaine, la Cour refuse de voir une atteinte à ces signes distinctifs. Sur ce point, la motivation est lapidaire : les juges estiment simplement « que l’internaute qui prend connaissance de la liste des mots-clés dont certains constituent la dénomination sociale, le nom commercial ou même le nom de domaine des sociétés membres du Gifam, ne peut se méprendre sur l’usage de ces signes par le générateur de mots-clés ».

En rejetant ainsi l’action en concurrence déloyale après avoir fait droit à l’action en contrefaçon, la Cour semble manquer de cohérence car ce sont le plus souvent les mêmes termes ou expressions qui sont protégés, d’une part, en tant que marque et, d’autre part, comme dénomination sociale, nom commercial ou nom de domaine (25) .

III. - INCIDENT CONCERNANT LES INFORMATIONS PERMETTANT D’ÉVALUER LE PRÉJUDICE

L’arrêt du 1er février 2008 est remarquable par le montant total des sommes allouées à titre de dommages et intérêts (plus de 300 000 euros (26) ), fonction du nombre impressionnant de titulaires de droits face à Google. En effet, outre le Gifam, pas moins de 28 de ses membres faisaient valoir leurs intérêts.
Bien qu’on imagine sans mal qu’à chaque situation correspondaient une atteinte et un préjudice particuliers, chacun de ces professionnels de l’électroménager se voit allouer le même, montant.

Une ordonnance de référé du 12 octobre 2005 enjoignait Google à produire des informations quantitatives relatives à l’usage des marques invoquées en l’espèce. Celle-ci a été largement atténuée par une ordonnance du juge de la mise en état du 11 janvier 2006 qui admettait que « compte tenu du nombre de marques en cause (31) la charge de recherche des éléments sollicités peut être lourde » (27) et a donc enjoint Google à produire sous astreinte les éléments sollicités (28) seulement pour un nombre limité de marques.

Ces informations n’ont pas été fournies par Google : il ressort des termes du jugement du 12 juillet 2006 qu’une demande de liquidation de l’astreinte avait ensuite été formulée, mais que les demandeurs y ont finalement renoncé « les parties ne souhaitant pas retarder les plaidoiries ».

Les statistiques sollicitées visaient à permettre l’évaluation du préjudice. En d’autres circonstances, il a été jugé que le faible nombre de consultations des liens mis en avant par des annonces jugées illicites ne pouvait donner lieu qu’à un dédommagement somme toute limité (29) .

On observera que dans l’affaire Gifam, les demandes d’informations ont été formulées sous l’empire du droit commun de la procédure civile. À l’avenir, les demandes visant à obtenir des informations de la part des intermédiaires vont se multiplier. En effet, l’entrée en vigueur de la loi nº 2007-1544 du 29 octobre 2007 renforce les prérogatives des titulaires de droits de propriété industrielle en leur permettant dans certaines circonstances d’intervenir à l’encontre des intermédiaires dont les présumés contrefacteurs utilisent les services (C. propr. intell., art. L. 716-6 modifié). Il leur est également possible d’obtenir des ordonnances sur requête « afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services » (C. propr. intell., art. L. 716-7-1 nv.).
En l’espèce, face à l’absence d’éléments précis pour quantifier le préjudice, la Cour tient rigueur à Google de son « choix de ne fournir que quelques éléments comptables qui ne permettent pas d’apprécier la fréquence et l’importance de la reproduction de l’ensemble des marques par le générateur de mots-clés ». L’évaluation, forcément empirique dans ces circonstances, se base sur la considération que les marques « n’ont pu qu’être souvent reproduites et que faire l’objet d’une large consultation par les annonceurs, s’agissant de signes désignant des produits de consommation courante ».
Alors que la jurisprudence n’est pas encore totalement harmonisée et stabilisée en matière de liens publicitaires, d’autres questions se profilent déjà.

IV. - AFFICHAGE DES ANNONCES

La suggestion de mots-clés constitue une première étape au cours de laquelle la marque apparaît à l’écran. Une fois le mot-clé réservé, l’affichage des annonces publicitaires sera déclenché par la saisie du mot-clé dans le moteur de recherche (ou par sa présence dans un contenu en marge duquel s’affiche la publicité contextuelle, selon le système Adsense).

Sur la question de la contrefaçon des marques lors de l’affichage des annonces elles-mêmes (et de l’éventuelle imputabilité de la responsabilité de ce fait à Google), Google souligne fort à propos que rien ne permet d’exclure l’application de l’exception prévue à l’article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle (30) .

Les usages litigieux seraient, en effet, selon Google, le fait de revendeurs de produits authentiques ou de sites de comparaison de prix. Or, le Gifam n’a pas démontré d’atteinte (se contentant d’incriminer « globalement un ensemble d’annonces qui obéissent à des finalités bien distinctes, sans procéder dans ses écritures à l’analyse précise de leur contenu ») et, face aux allégations de Google, « n’a pas cru devoir appeler dans la cause les responsables de ces annonces ». Encore une fois, on ne pourra que s’étonner de l’absence des annonceurs dans les instances relatives aux liens publicitaires (31) . Ici, faute de précision, la question est écartée (32) .

V. - PUBLICITÉ MENSONGÈRE

Un dernier grief est retenu à l’encontre des sociétés Google par l’arrêt du 1er février 2008 : la publicité réalisée est jugée mensongère du fait de l’ambiguïté de l’intitulé « liens commerciaux » sous lequel apparaissent les annonces dans une colonne voisine des résultats affichés par le moteur de recherche. Cette appréciation n’est pas unanimement partagée par les différentes juridictions qui ont eu à se prononcer sur cette question (33) .

Alors que la jurisprudence n’est pas encore totalement harmonisée et stabilisée en matière de liens publicitaires, d’autres questions se profilent déjà.
Des procédés visant à développer encore plus l’impact des annonces par liens hypertextes « contextualisés » pourraient également avoir un impact inattendu. Ainsi se trouvent, par exemple, les requêtes larges, qui ont été encore très peu abordées devant les tribunaux et ne suscitant pas des décisions limpides quant au fonctionnement de ce système.

Une autre technique, si elle était généralisée, pourrait aussi susciter des débats : l’« automatic matching » est un procédé à ce jour expérimental visant à permettre à Google d’atteindre les plafonds que les annonceurs ont fixés pour leur budget de campagnes de liens publicitaires.

Pour cela, Google choisirait lui-même, et sans intervention de l’annonceur, les mots-clés susceptibles de déclencher l’affichage des publicités (34) .

(1)
CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier. Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi.
(2)
« L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme : (...) - b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine. Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite. »
(3)
CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 déc. 2007, TWD Industries c/ Google France, Google Inc., RLDI 2008/34, nº 1137, obs. Auroux J.-B.
(4)
TGI Nanterre, 2e ch., 14 déc. 2004, CNRRH c/ Google France.
(5)
CA Versailles, 12e ch., sect. 2, 23 mars 2006, Google France c/ CNRRH.
(6)
TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 24 juin 2005, Agence des Medias Numériques (Amen) c/ Espace 2001, Google France.
(7)
CA Versailles, 12e ch., sect. 1, 10 mars 2005, Google France c/ Viaticum, Luteciel.
(8)
On peut noter pour la chronologie que c’est à la fin juillet 2005 que le Forum de droits sur l’internet (FDI) a fait paraître ses recommandations sur les liens commerciaux, destinées aux acteurs du marché (et non aux juridictions). Sans se prononcer sur la nature contrefaisante ou non de l’apparition des marques de tiers dans les outils de suggestion, l’organisme, qui « se félicite des bonnes pratiques des fournisseurs de liens commerciaux » leur adresse cinq conseils : il leur recommande notamment de mettre en garde les annonceurs contre la sélection de mots-clés pouvant porter atteinte aux droits de tiers et de préciser le rôle des générateurs de mots-clés afin que ces outils ne soient pas présentés comme « conseillant ou suggérant » de sélectionner les termes indiqués. En d’autres termes, le FDI préconise l’abandon de toute présentation incitative de la présentation de résultats statistiques.
(9)
TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 8 déc. 2005, Kertel c/ Google France.
(10)
Mais composée d’autres juges.
(11)
TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 31 oct. 2006, Iliad c/ Google France, Helios.
(12)
TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 9 mars 2006, Promovacances, Karavel c/ Google France.
(13)
Cette qualification étrange de l’activité de la société Google (pourtant considérée comme régie publicitaire) n’est pas sans rappeler les errements du passé sur la fameuse classe 38, auxquels la Cour de cassation avait pourtant mis fin avec l’arrêt « Locatour » (Cass. com. 13 déc. 2005, nº 04-10.143).
(14)
TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 8 déc. 2005, précité, note 11.
(15)
TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 27 avr. 2006, Auto IES c/ Google France, Car Import, Directinfos Com, Ebay France, Pierre B.
(16)
TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 12 juill. 2006, Gifam et autres c/ Google France ; TGI Paris, réf., 11 oct. 2006, Citadines c/ Google France, Google Inc. (rendu en pratique par le président de la 3e chambre, 3e section) ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 13 févr. 2007, Laurent C. c/ Google France.
(17)
TGI Strasbourg, 1re ch. civ., 20 juill. 2007, Atrya c/ Google France, KparK, Technifenetre. À propos de ce jugement, voir Tardieu-Guigues E., L’utilisation de la marque d’un tiers dans des mots-clés sur un moteur de recherche ne porte pas atteinte au droit de marque (sous certaines conditions), RLDI 2008/34, nº 1128.
(18)
T. com. Paris, 8e ch., 31 oct. 2007, Trednet c/ Bodxl, Google France.
(19)
CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 déc. 2007, TWD Industrie c/ Google France, Google Inc. ; CA Paris, 4e ch., A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier ; CA Versailles, 12e ch., sect. 1, 10 mars 2005, Viaticum, Luteciel c/ Google France ; CA Versailles, 12e ch., sect. 2, 23 mars 2006, Google France c/ CNRRH) ; et dans une certaine mesure : CA Versailles, 12e ch., sect. 1, 24 mai 2007, Google France c/ Hotels Méridien. Eu égard à la renommée de la marque, la Cour a retenu l’application de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, la notion de principe de spécialité étant alors écartée.
(20)
Y compris au niveau européen.
(21)
CJCE (cour plénière), 12 nov. 2002, Arsenal Football Club Plc c/ Matthew Reed, Aff. C-206/01.
(22)
Tel est l’objet de la marque Adwords enregistrée à l’OHMI pour « Dissemination of advertising for others » et de la marque Adsense, qui en classe 35 vise « Advertising ; business management ; business administration ; office functions ; dissemination of advertising for others via the Internet ».
(23)
Gaultier J.-F. et Jourdain M., Liens sponsorisés : Google est-elle une agence matrimoniale ?, , 30 mai 2005.
(24)
Jugement rendu sous l’égide du même magistrat que l’arrêt du 1er février 2008.
(25)
À l’inverse, dans le jugement du 24 juin 2005 (note 8), la concurrence déloyale était retenue au regard du sigle et du nom commercial « Amen ». Voir Glaize F., Liens commerciaux : nouvelle décision peu amène envers Google, , 8 nov. 2005.
(26)
Chaque société titulaire de marques se voit allouer 10 000 euros au titre de la contrefaçon et 1 500 euros du fait du caractère trompeur de la publicité. Le préjudice du Gifam est évalué à 1 000 euros.
(27)
Google soutenait que « les recherches des éléments demandés seraient trop coûteuses en personnel ». Depuis le rachat de la société Urchin Software Corporation en 2005 par Google, ce genre d’argument ne devrait plus être admis puisque, a ainsi été acquis l’un des services de statistiques les plus perfectionnés, rebaptisé depuis alternative Google Analytics CNIL.
(28)
Ces éléments consistent en la liste des clients de Google utilisant les marques pour l’affichage des liens commerciaux dans le cadre du système Adwords et le lien commercial correspondant à chacun d’entre eux, le nombre de pages visualisées par les internautes - depuis certaines dates fixées - et faisant apparaître les liens commerciaux en cause et ce, lien par lien, le système de rémunération de la société Google pour chaque lien commercial sur la période considérée, le chiffre d’affaires de la société Google pour chaque lien commercial en question pour la période de référence.
(29)
Voir par ex., T. com. Paris, 8e ch., 5 oct. 2005, Corb’s c/ Evoc, http://legalis.net/breves-article.php3?id_article=1539;.
(30)
À propos de la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 713-6 en matière de liens publicitaires, CA Versailles, 2 nov. 2006, 12e ch., sect. 1, Overture c/ Accor.
(31)
À supposer que les annonceurs soient clairement identifiables, ce qu’impose l’article 20 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
(32)
Dans l’affaire TWD Industries, l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence retient la responsabilité de Google pour contrefaçon lors de l’affichage des annonces publicitaires.
(33)
Parmi les décisions retenant la qualification de publicité mensongère : CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 12 déc. 2007, Syndicat Français de la Literie c/ Google France ; et celles rejetant la qualification de publicité mensongère ou de publicité trompeuse : CA Versailles, 2 nov. 2006, précité ; CA Aix-en-Provence, 6 déc. 2007, précité.
(34)
Ellen Kehoane, DMNews, 28 févr. 2008, Google AdWords automatic matching meets wary audience, http://www.dmnews.com/Google-AdWords-automatic-matching-meets-wary-audience/article/107409/.

More from RGPD Sous Traitance
All posts