La monnaie fiduciaire détruit la notion de travail et Bitcoin récompense la création de valeur

Tribune de Jimmy Song, développeur Bitcoin, éducateur, entrepreneur et programmeur fort de 20 ans d'expérience.


Nous avons besoin du travail et le travail a besoin de nous.

Le travail est ce qui permet de transformer un monde rude, brutal et difficile en quelque chose de vivable, plaisant et même profond. C'est par le travail que l'on contribue au développement de notre civilisation, de nos communautés et, bien sûr, de nos familles. Le travail dans un marché normal et fonctionnel génère de la valeur.

Le travail, au sens véritable, représente notre contribution à la civilisation. Le résultat de notre travail est l'empreinte que nous laissons derrière nous. Le travail collectif est ce qui nous permet de construire tout ce qui nous entoure, des édifices dans lesquels nous vivons aux routes sur lesquelles nous nous déplaçons, en passant par les ordinateurs sur lesquels nous tapons, l'électricité que nous utilisons et pratiquement tout le reste.

Néanmoins, cette équation basique — travail productif contre compensation monétaire — ne semble pas fonctionner très bien. On peut en attester au travers des licenciements de masse qui ont actuellement lieu dans tous les secteurs économiques, notamment dans la technologie. Que se passe-t-il exactement ? Comment se fait-il que des dizaines de milliers de personnes se voient perdre leur emploi dans différentes entreprises sans que cela ne semble affecter le fonctionnement des choses ? Que faisaient-ils tous ? Des vidéos stupides sur TikTok ?

Dans cet article, je répondrai à ces questions et imputerai la faute à qui de droit. Comme d'habitude, le coupable est l'argent fiduciaire.

Le travail conduit à la spécialisation

Les marchés fonctionnent car les individus sont prêts à payer pour les biens et services qu'ils convoitent. Quelqu'un paie car le coût — qu'il soit mesuré en prix, qualité, facilité d'obtention ou autre — lui serait plus élevé. La monnaie, c'est-à-dire le moyen d'échange que nous employons au quotidien, nous permet de nous spécialiser et de faire usage de nos meilleures compétences.

Un pêcheur sait comment attraper de larges quantités de poissons, bien plus qu'il ne peut en consommer. Un cordonnier sait comment fabriquer des chaussures, bien plus qu'il n'a besoin d'en porter. Via le commerce, ils ont alors la possibilité d'aiguiser leurs propres compétences pour acquérir les biens qu'ils désirent et dont ils ont besoin. C'est la raison pour laquelle les pêcheurs ne fabriquent pas leurs propres chaussures et les cordonniers ne pêchent pas de poissons.

La civilisation prend forme grâce à cette spécialisation du travail. Dans ce sens, chacun optimise la valeur qu'il génère par unité de temps travaillée tout en minimisant la pénibilité de la tâche. Plus directement, on essaie de faire le plus d'argent possible en faisant ce qui nous déplait le moins.

Ce dernier point est important car il existe des métiers bien rémunérées que les gens ne désirent pas exercer, comme éboueur ou camionneur, et qui bénéficient de taux horaires supérieurs à d'autres activités mais qui sont d'une pénibilité qui en décourage plus d'un. La rémunération du travail augmente en accord avec le degré de pénibilité. De la même manière, les compétences rares sont mieux rémunérées car peu de personnes peuvent exercer les métiers qui les nécessitent. Le travail est comme toute autre marchandise sur le marché, c'est l'utilité de la production qui en découle et sa rareté relative qui déterminent le prix. Les individus qui gagnent le plus d'argent sont ceux qui, en toute logique, font le travail le plus difficile et/ou le moins désirable.

Clairement, quelque chose ne va pas car beaucoup d'emplois bien rémunérés ne sont pas difficiles (travail administratif, groupes de réflexion, etc.) et très convoités (membres de conseil d'administration, banquiers d'investissement, capital-risqueurs). Il y a donc quelque chose dans notre système économique qui ne récompense pas les bons choix.

La monnaie fiduciaire favorise le travail inutile

La monnaie fiduciaire met des bâtons dans les roues d'un marché qui tourne efficacement en introduisant un nouvel acheteur. En fabriquant de la nouvelle monnaie de toute pièce, l'argent fiduciaire permet aux gouvernements de créer des emplois ne générant aucune valeur. C'est ce que l'on appelle des emplois de recherche de rente.

Dans une économie de marché normale, la monnaie sert à compenser toute valeur créée. L'inefficacité y est punie par une baisse, voire une perte de profit. Par conséquent, le travail doit générer de la valeur. Mais dans une économie de monnaie fiduciaire, il existe un nouvel acheteur qui n'est pas sensible aux prix du marché : l'imprimeur d'argent. Généralement, les personnes au pouvoir consomment des biens ostentatoires, achètent du prestige, créent des emplois précaires, distribuent des pots-de-vin à leurs fidèles, etc. Ils génèrent encore moins de valeur que Roger Ver.

Pour les responsables de la planche à billet, le travail ne sert plus à créer de la valeur mais à satisfaire leurs désirs, souvent pour maintenir leur position de pouvoir. En démocracie, les responsables de la planche à billet ont tendance à dépenser dans la création d'emplois aussi inutiles que de creuser des trous pour le simple fait de creuser des trous. En dictature militaire, ces mêmes responsables ont tendance à acheter des votes, des armes et à financer des programmes sociaux. Les emplois sous de tels régimes ne sont souvent qu'une façade servant à occulter le népotisme et la distribution de pots-de-vin. L'argent y est imprimé et utilisé pour maintenir le pouvoir sans créer de valeur pour quiconque.

Dans une économie fiduciaire, lorsque les imprimeurs d'argent deviennent des clients majeurs dans la plupart des secteurs, presque tous les emplois ont vocation à soutirer de la rente. Le travail créant de la valeur se confond avec celui qui n'en crée aucune. Dans la durée, il devient alors difficile de discerner ce qui produit de la valeur de ce qui n'en produit pas, et de discerner ce qui est bénéfique pour la civilisation de ce qui ne l'est pas. La recherche de rente à tout prix se propage telle de la moisissure sur un vieux sandwich.

Par exemple, de nombreuses entreprises ont des départements de ressources humaines spécialisées uniquement dans le respect des questions de conformité professionnelle. Comme dans tout système bureaucratique typique, chaque employé est dans l'obligation d'assister à des formations embarrassantes sur le harcèlement sexuel, les discriminations raciales, les questions acceptables pour les entretiens d'embauche, etc. La plupart n'ont presque aucun lien avec l'industrie dont les employés font partie, mais chaque nouvelle recrue est forcée de perdre son temps précieux sur ce type d'activités. Ces exigences en matière de conformité n'ont pas nécessairement d'implication monétaire, mais elles font perdre beaucoup de temps. De ce fait, le temps de travail est partagé entre tâches productives et improductives. Au cours des 50 dernières années, les tâches improductives ont pris tant d'ampleur que des professions entières n'ont aucune utilité véritable, même dans des sociétés très rentables.

Est-il alors étonnant que des sociétés comme Twitter, Google, Facebook, Microsoft et autres entreprises rentables puissent licencier autant d'employés sans que cela n'affecte leurs opérations ? Les licenciements sont équivalents à de la chimiothérapie ; cela nuit probablement aux sociétés qui en font usage, mais permet aussi de se débarasser d'un cancer sous-jacent.

Friction fiduciaire

La quête permanente de rente ralentit l'économie, de la même manière qu'une crevaison ralentit un véhicule. L'enchevêtrement omniprésent de la monnaie fiduciaire et du monde politique est un des nombreux facteurs contribuant au ralentissement de la productivité, créant un manque à gagner. Le travail que les gens s'efforcent de faire ne consiste pas à créer de la valeur mais à agir comme intermédiaires de transactions de valeur. Ils crèvent des pneus et causent des désagréments majeurs dans l'objectif de vendre plus de pneus.

Par conséquence, il est difficile de générer de la valeur dans une économie fiduciaire, même si la volonté est là. Cette recherche de rente cause de nombreuses fictions qui sont difficiles à surmonter et qui empêche les individus de créer de la valeur. Est-il facile de lancer une entreprise dans la plupart du monde ? Est-il facile d'ouvrir un compte en banque, d'obtenir les permis nécessaires et de se conformer aux règles qui enrichissent les rentiers ? Il ne s'agit pas seulement d'impôts sur l'entreprenariat mais d'impôts sur la civilisation en soi.

Pourquoi est-il alors si difficile d'éliminer cette pratique ? Le problème est que la quête de rente est attractive pour la majorité des gens. La volatilité est bien moindre que celle du marché et les revenus sont en quelque sorte garantis par le gouvernement. Il n'y a pas besoin faire face à des clients difficiles, aux conditions changeantes du marché ou à des concurrents ambitieux. La plupart des gens choisirait volontier de gagner moins d'argent en échange d'une certitude de long terme. En conséquence, même les individus qui génèrent de la valeur ont tendance à rapidement adopter une mentalité de rentier.

La descente vers une mentalité de rentier

Tous les rentiers ne commencent pas de la sorte. Beaucoup adoptent cette mentalité petit à petit sans même s'en rendre compte. On peut remarquer ce phénomène dans certaines des sociétés de technologie à très grand succès au cours des 20 dernières années. Amazon, Facebook et Google étaient de très bons services. Évidemment, une des raisons pour laquelle ces sociétés étaient perçues comme telles est parce qu'elles vendaient leurs biens et services à perte. Dans le cas d'Amazon, l'entreprise perdait de l'argent sur beaucoup de ventes à ses débuts. Facebook et Google offraient leurs services gratuitement. D'ailleurs, cela était possible uniquement en raison des larges sommes d'argent mises à disposition pour les investissements, ce qui est un des effets pervers d'une monnaie fiduciaire inflationniste. Les services fournis étaient donc très bon marché pour les clients.

Mais cela faisait partie de leur stratégie de long terme. Tel un traffiquant de drogue fournissant un premier échantillon gratuit, les utilisateurs sont vite devenus accros. Puis ils ont commencé à vendre des publicités afin de "monétiser" leur public. Monétiser est en fait un euphémisme qui signifie devenir un intermédiaire d'échange pour les utilisateurs. Par conséquent, Amazon, Google et Facebook sont vite devenus des intermédiaires d'échange pour des partis tiers, soit par le biais de publicités ou en devenant des plaformes monopolistiques.

Une fois les utilisateurs séduits, ces entreprises ont également fait en sorte de rendre attractifs les termes pour les vendeurs. La génération de prospects sur Facebook et Google coûtait alors beaucoup moins cher par rapport à ce qui existait auparavant. En peu de temps, les vendeurs étaient devenus accros à ces plateformes et se faisaient exploiter dans un but de monétisation. La disponibilité de l'espace publicitaire était manipulée et les frais d'annonce ne cessaient d'augmenter. Ces plateformes utilisaient de l'argent fiduciaire pour agir comme intermédiaires sur un marché qu'elles controllaient entièrement. À chaque étape, elles s'inséraient dans le processus de création de valeur afin d'en tirer du profit. En d'autres termes, elles sont devenues rentières.

Le pire, c'est que tout était planifié depuis le début. C'est le plan de presque toutes les start-ups depuis des années : attirer un maximum d'utilisateurs et de vendeurs et devenir l'intermédiaire de leurs échanges. Tout financier de capital-risque estime qu'un résultat souhaitable est d'arriver à capturer le maximum de valeur et être capable de défendre ce monopole. Il s'agit de la voie de la profitabilité que toute start-up financée par du capital-risque vise à empreinter, c'est pourquoi le concept de croissance est tant primordial.

Il ne s'agit pas d'un cas isolé depuis 1971. À partir du moment où Richard Nixon a mis fin à l'étalon or, toutes les devises indexées sur le dollar américain sont instantanément devenues des monnaies fiduciaires et les incitations commerciales ont alors changé. La quête de rente est devenue beaucoup plus rentable et— sans surprise — les rentiers ont donc beaucoup augmenté en nombre. Il n'y a dorénavant plus qu'une poignée d'entreprises qui créent énormément de valeur. De nombreuses grandes entreprises dépendent de subventions gouvernementales, de prêts bancaires ou d'une combinaison des deux. De nombreuses entreprises technologiques n'existent que par le biais des financements des capital-risqueurs, c'est-à-dire de prêts bancaires, dans le but de soutirer de la rente. La "fiduciarisation" de l'économie est omniprésente et n'a cessé de croître depuis 50 ans, contaminant même les entreprises les plus productives.

La glorification de la recherche de rente

Pourquoi y a-t-il autant de personnes fraîchement diplomées d'écoles de commerce qui cherchent dorénavant à devenir gestionnaires de fortune ? Car elles imitent les Warren Buffet du monde, une personne qui n'a jamais créé de valeur de toute sa vie et qui n'a fait qu'une chose : gérer l'argent des autres. Il s'agit là du rentier ultime et cela l'a rendu fabuleusement riche. En raison de la suprémacie de l'argent, la quête de rente est devenue une activité prestigieuse. Les héros de cette génération sont des gens comme Warren Buffet et non comme Thomas Edison ou Nikola Tesla, lesquels étaient véritablement productifs.

Heureusement que Bitcoin commence à exposer les rentiers pour ce qu'ils sont vraiment. Les altcoiners s'inscrivent dans la même lignée et ne créent aucune valeur, c'est la raison pour laquelle les Bitcoiners les condamnent si fermement à juste titre. Il n'est pas difficile de détecter ces arnaques qui promettent de l'argent facile en corrompant les individus pour faire la promotion d'altcoins. L'attraction majeure des altcoins est qu'elles permettent à quiconque de devenir rentier en contournant la case école de commerce de renom, sans avoir de réseau politique ni l'approbation des médias. C'est donc de la recherche de rente pour tous, ce qui signifie que personne ne travaille vraiment.

Dans un sens, les altcoins ne sont que l'évolution naturelle de la quête de rente dans un monde dominé par la monnaie fiduciaire. Elles sont complètement improductives et ne disposent d'aucune qualité véritable. La promesse qui en découle est qu'il est possible de faire de l'argent en ne créant aucune valeur. C'est cela qui les rend attractives, mais c'est aussi cela qui est troublant. La plupart des gens peuvent ressentir que rien ne va lorsque des personnes gagnent de l'argent à ne rien faire. Quelque chose ne tourne pas rond et même un enfant de cinq ans est capable de le ressentir. La valeur doit provenir de quelque part et c'est pourquoi il y a toujours une certaine appréhension chez la plupart des altcoiners. Même en période de marché haussier, ils savent que dans une certaine mesure ils jouent avec l'argent du casino qu'ils n'ont pas gagné. En conséquence, de nombreux altcoiners perdent tout leur argent comme des gagnants du loto car ils savent qu'au fond d'eux-même ils ne produisent aucune valeur.

En effet, la valeur extraite de cette activité rentière provient du capital que la civilisation a accumulé sur plusieurs générations. En Occident, la culture de la confiance commence à se désintégrer. La confiance est un bien capital qui prend longtemps à se former. La confiance est la raison pour laquelle on a pu observer un miracle économique au Japon et en Allemagne dans la période d'après-guerre et pas un seul dans le bloc de l'Union soviétique. Abuser de la confiance à des fins de gains monétaires diminue la confiance commune. Ces escroqueries rentières détruisent les semences de la productivité.

La création de valeur

Heureusement que Bitcoin ne permet pas de devenir rentier car il n'existe aucune autorité centrale capable de manipuler le système. Bitcoin accumule du capital car le protocole récompense ceux qui génèrent de la valeur. Le maximalisme toxique dont tout le monde se plaint n'est qu'une réaction contre la mentalité de rentier. Les capital-risqueurs sont des spécialistes de l'extraction de valeur, tout comme les influenceurs. Ce sont des gens qui, lorsqu'ils essaient de soutirer de la valeur aux Bitcoiners, se brûlent à la tâche.

Les entreprises tournant autour de Bitcoin sont plus difficiles à créer car il n'y a pas de place pour la recherche de rente. L'Ethereum Fondation ne vous accordera pas de subventions et les capital-risqueurs de la "crypto" ne vous financeront pas si vous n'avez pas de nouveaux tokens à leur faire promouvoir. C'est cela qui fait la force de ces entreprises et qui les rendent plus intègres, et c'est pourquoi les Bitcoiners sont plus susceptibles de les soutenir. La valeur ajoutée qu'elles apportent est évidente car elles ne dépendent pas de subventionnement en altcoin ou en monnaie fiduciaire.

Bitcoin accumule du capital en favorisant la création de valeur. Et le travail, ça nécessite de faire des efforts, mais ce pas une escroquerie. En d'autres termes, au lieu de devenir des escrocs de la rente, nous pouvons faire en sorte que le travail redevienne honnête.

Rejetez la mentalité de rentier. Soyez productifs.


Article original : https://bitcoinmagazine.com/culture/bitcoin-kills-rent-seeking

Auteur : Jimmy Song (@jimmysong)

Date de parution : 31 janvier 2023


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