Comment les grandes entreprises influencent les gouvernements: l'exemple de Nestlé

L'entreprise alimentaire suisse Nestlé fait sans cesse l'objet de critiques publiques. L'une des raisons en est la privatisation de l'eau dans les pays les plus pauvres. Depuis des années, Nestlé réalise un chiffre d'affaires de l’ordre de plusieurs milliards de dollars avec les seuls produits à base d'eau. En 2018, ils ont réalisé un chiffre d'affaires de 7,878 milliards de francs suisses. Franklin Frederick, militant environnemental, homme politique brésilien et membre du conseil d'administration de l'organisation de solidarité ALBA Suiza, est vigoureusement engagé en faveur du droit humain à l'eau et se penche sur les affaires de Nestlé. Sur le portail d'information d'Amérique latine amerika21, il donne un aperçu des activités de Nestlé. Par exemple, il écrit qu'il y a de nombreux problèmes liés à la surutilisation de l'eau par Nestlé à São Lourenço et dans de nombreux autres endroits au Brésil. De nombreux mouvements citoyens tentent d'y protéger leurs sources. Un autre exemple est la situation dans la ville de Vittel en France. Des études menées par les autorités gouvernementales françaises montrent que la source d'eau souterraine dans laquelle les habitants de Vittel puisent leur eau et dans laquelle Nestlé pompe son eau en bouteille « Vittel » est en danger d'être vidée. À long terme, la source d'eau souterraine ne peut pas répondre aux besoins de la population locale et à l'utilisation de l'usine d'embouteillage de Nestlé. Pour pallier le problème de la pénurie d'eau, un pipeline de 15 kilomètres devait être construit pour permettre à Nestlé de continuer à pomper localement les eaux souterraines de Vittel. Après que diverses organisations et le public se sont opposés à ce pipeline, les autorités françaises ont annoncé en octobre 2019 qu'elles retiraient leur soutien au projet, qui était déjà à un stade avancé.

Dans le comté de Wellington, au Canada, un groupe local a uni ses forces et a fondé les « Wellington Water Watchers » pour protéger leur eau contre la surexploitation par Nestlé. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres où la population locale défend son droit fondamental à l'eau.

De ce point de vue, il faut maintenant envisager les derniers développements dans l’échiquier politique suisse. Depuis début octobre 2019, Christian Frutiger, responsable mondial des relations publiques chez Nestlé, est également directeur adjoint de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’OCDE dépend du Département fédéral des affaires étrangères, sous la direction du conseiller fédéral Ignacio Cassis. À ce titre, M. Frutiger est responsable des secteurs du changement climatique, de l'eau, des migrations, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. L’OCDE est connue pour son soutien à Nestlé. Franklin Frederick, par exemple, écrit qu'il y a plusieurs années, l’OCDE a apporté un soutien financier à la création du Water Resources Group (WRG), une initiative de Nestlé, Coca-Cola et Pepsi visant à privatiser l'eau. La contradiction selon laquelle la Suisse dispose d'un des meilleurs services publics d'assainissement et d'approvisionnement en eau au monde, tout en utilisant l'argent des impôts des citoyens suisses pour soutenir la privatisation de l'eau à l'étranger par le partenariat de l’OCDE avec Nestlé, ne semble déranger personne. Compte tenu de cette évolution, il ne faut pas s'attendre à d'autres réactions de la part des principales organisations d'aide suisses, puisque l'OCDE est le principal donateur pour la quasi-totalité d'entre elles. Cette circonstance explique également le grand silence qui règne en Suisse sur Nestlé et ses activités.

Cependant, ce n'est pas le seul « homme de Nestlé » qui a pris des responsabilités au sein du gouvernement suisse au cours de l'année dernière. En février à Genève, le Conseil fédéral a approuvé la création d'une fondation nommée «Geneva Science and Diplomacy Anticipator». La fondation est soumise à l'Autorité fédérale de surveillance des fondations, qui est elle-même rattachée au Département fédéral de l'intérieur. Selon une communication du Conseil fédéral, le but de cette fondation est, je cite : « La fondation doit analyser les conséquences sociales des défis technologiques et scientifiques du XXIe siècle et proposer des solutions à ces défis. » Par exemple, la question des drones, des voitures automotrices ou le génie génétique. Peter Brabeck-Letmathe, l'ancien président du conseil d'administration de Nestlé de 2005 à 2017, a été élu président de la fondation. Le vice-président est Patrick Aebischer, qui est depuis 2015 membre du comité directeur de Nestlé Health Science (on entend par là, la recherche par Nestlé de thérapies nutritionnelles et la promotion de produits pour celles-ci). Elle a été fondée par le groupe Nestlé. Dans la phase initiale, la fondation a été soutenue par la Confédération suisse avec trois millions de francs suisses. On ne peut que spéculer sur la raison pour laquelle deux hommes de Nestlé ont été choisis et sur l'impact que cela a sur la politique suisse. Franklin Frederick a écrit dans son article qu'il ne faut pas s'attendre à ce que la Fondation se concentre sur la protection de la société et de l'environnement contre les menaces éventuelles posées par les nouvelles technologies. Au contraire, la nomination de Brabeck à son sommet montre clairement que l'objectif premier de la fondation est de soutenir et de défendre les intérêts du secteur privé. Le progrès technologique doit servir à générer des profits.

Frederick conclut, je cite : « Ce qui se passe actuellement en Suisse n'est que la partie visible de l'iceberg, la partie visible d'une tendance internationale dans laquelle les grandes entreprises occupent de plus en plus l'espace public et démocratiquement légitimé; et l'oligarchie des multinationales mondiales, imposent les décisions politiques. Nous devons être vigilants et bien organisés pour protéger nos eaux, notre terre et notre société contre l'attaque du bien commun. »

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