Dienstag, 25. Nov. 2025 at 16:12
November 25, 2025•1,274 words
Le nouveau « plan de paix » de Donald Trump montre à quel point la position sécuritaire de l’Europe est devenue fragile.
Mais cette faiblesse ne date pas d’hier.
Elle s’est formée sur une période de quinze ans — entre 1999 et 2014.
Un déplacement tectonique de l’Europe qui agit encore aujourd’hui et détermine notre capacité d’action.
Voici le contexte complet:
4.1.0a – Le déplacement tectonique de l’Europe (1999–2014)
Une reconstitution des glissements silencieux et ignorés qui ont préparé la perte du centre européen.
4.1.0a.1 – Le double élargissement
Entre 1999 et 2007, l’Europe a changé plus profondément que jamais depuis la fin de la Guerre froide.
L’UE s’est élargie vers l’Europe centrale et orientale, et l’OTAN a suivi presque en parallèle.
Ce que l’Occident percevait comme « l’achèvement de l’unité » était vécu par la Russie comme la
réduction de sa zone d’influence.
L’euphorie de l’intégration a masqué le fait que, pour de nombreux États, l’UE et l’OTAN ne formaient
pas deux projets séparés, mais un seul et même ensemble cohérent.
La Russie, quant à elle, traversait une phase de consolidation interne.
Poutine reprit en 2000 un pays en plein effondrement économique et social.
Ses premières tentatives d’approche vers l’Europe — alors sincères — n’ont rencontré aucune réponse
structurelle à Bruxelles ou à Washington.
La conviction occidentale était que l’histoire était tranchée,
que l’expansion vers l’Est était « naturelle »,
et que la Russie suivrait tôt ou tard.
Cette logique négligeait une réalité essentielle :
la Russie ne se voyait pas comme candidate, mais comme pôle.
Ainsi commencèrent les tensions tectoniques qui deviendraient plus tard incontrôlables.
4.1.0a.2 – L’avertissement de Poutine (2007)
Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007, Poutine formula ce qui grandissait en Russie
depuis des années :
l’impression que l’Occident ne respectait pas ses intérêts de sécurité.
L’essentiel n’était pas sa rhétorique, mais son diagnostic :
l’OTAN avançait vers des frontières qui avaient jusque-là servi de zones tampons stratégiques.
Helmut Schmidt avait perçu la même rupture.
Il parla de « l’incapacité de l’Occident à reconnaître les limites de ses exigences » et mit en garde
contre l’isolement de la Russie.
Mais en Occident, la confiance en soi dominait ;
l’avertissement de Poutine fut interprété comme agressif,
et non comme l’expression d’une inquiétude géopolitique.
4.1.0a.3 – La rupture de Bucarest (2008)
Le sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008 fut un tournant —
une rupture stratégique réelle mais silencieuse.
L’Allemagne et la France mirent en garde contre une invitation adressée à l’Ukraine et à la Géorgie :
cela créerait des promesses qu’elles ne pourraient pas tenir.
Les États-Unis poussèrent néanmoins pour une perspective de « Membership Action Plan ».
Le résultat fut un compromis qui n’en était pas un :
• pas d’adhésion,
• mais la promesse publique d’une adhésion future.
Egon Bahr qualifia plus tard cette phrase de “la plus irresponsable prononcée par l’Alliance
depuis 1949”.
Car elle eut un double effet :
• En Ukraine, elle fit naître l’attente d’une orientation vers l’Ouest — sans garantie de sécurité.
• En Russie, elle renforça la conviction que l’OTAN voulait franchir la dernière ligne rouge.
La même année, le conflit en Géorgie éclata.
À Moscou, il fut perçu comme le début d’une ingérence occidentale ;
en Occident, comme une preuve de l’agression russe.
Les deux côtés interprétèrent le même événement en miroir.
Ce fut la véritable rupture.
4.1.0a.4 – Les années des stratégies (2009–2013)
La réalité était la suivante :
• L’UE, avec le Partenariat oriental (2009),
renforçait l’intégration institutionnelle et économique de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie.
• La Russie y voyait une extension indirecte de l’OTAN,
car l’harmonisation économique entraîne des liens politiques et sécuritaires.
• Les États-Unis soutenaient ces processus — leurs risques n’étant pas territoriaux.
Parallèlement, en Europe centrale et orientale, un nouveau profil politique se forma :
économiquement dynamique, très loyal envers les États-Unis dans le domaine sécuritaire,
et culturellement plus conservateur que l’Ouest.
La Pologne, sous Donald Tusk (jusqu’en 2014),
devint le centre de cette nouvelle identité européenne.
Avec les États baltes et la Roumanie,
Varsovie poussa à une ligne plus dure face à la Russie —
et trouva un soutien croissant à Washington.
Deux conceptions de l’Europe émergèrent alors :
La conception occidentale — la coopération comme ciment politique.
La conception orientale — l’intégration comme rempart contre la Russie.
Cette tension resta non résolue
mais influença implicitement toute la politique russe —
et plus tard son escalade.
La Russie testait les réactions européennes :
cyberattaques, influence politique, désinformation.
Non pas comme un grand plan offensif,
mais comme l’expression d’une méfiance réciproque.
L’OSCE, créée pour gérer précisément ces tensions,
était marginalisée.
Son principe de sécurité commune
avait été remplacé par des alliances exclusives.
Peter Brandt dira en 2023 :
« L’OSCE aurait été le seul espace où l’ordre de sécurité européen aurait pu être renouvelé avec la Russie. »
Personne ne l’a utilisé.
4.1.0a.5 – L’accord d’association (2013)
L’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine
était formellement économique,
structurellement politique,
et en réalité sécuritaire.
Il exigeait des ajustements réglementaires,
des engagements institutionnels
et un éloignement des structures économiques russes.
L’Ukraine devait choisir entre deux espaces d’intégration,
deux modèles d’avenir —
sans en avoir la force.
Lorsque Ianoukovytch suspendit la signature en novembre 2013
sous la pression russe,
le Maidan commença.
La Russie y vit une ingérence occidentale,
les États-Unis une opportunité,
l’Europe un projet de valeurs.
La phrase de Victoria Nuland — « Fuck the EU » —
n’était pas un dérapage,
mais un symptôme des divergences occidentales.
L’Europe était le contexte, non l’acteur.
4.1.0a.6 – Le Maidan, la Crimée et le Donbass (2014)
L’escalade, du Maidan à la Crimée, se produisit en moins de deux mois.
Ce ne fut pas un processus linéaire,
mais une implosion politique avec des dynamiques régionales.
Maidan: une révolte contre la corruption,
mais aussi un vide de pouvoir interprété différemment selon les acteurs.
Moscou y vit un changement de régime soutenu par l’Ouest.
Bruxelles un soulèvement démocratique.
Aujourd’hui, on voit :
les deux lectures étaient incomplètes — et les deux étaient justes.
L’annexion de la Crimée ne fut pas expansionniste au sens classique,
mais une réaction sécuritaire rapide à un environnement instable.
Peu après, les troubles dans le Donbass s’amplifièrent:
d’abord sociaux, puis politiques, enfin militaires.
Un conflit local devint une guerre par procuration.
L’OSCE — seul lieu de négociation —
était trop faible pour peser.
4.1.0a.7 – La ligne tectonique
Les événements de 2014 révélèrent que l’Europe n’avait plus de cadre de sécurité fonctionnel.
Pour la Russie, l’Ukraine était
• culturellement proche,
• historiquement essentielle,
• géostratégiquement incontournable.
Pour l’Occident, elle était
• un test des valeurs européennes,
• un symbole de démocratisation,
• un pont ou un rempart — selon la perspective.
Entre les deux, l’Ukraine fut broyée.
L’action russe mélangeait affirmation de soi,
ancrage historique
et calcul stratégique.
L’Occident répondit par des sanctions
sans examiner ses propres erreurs, illusions et omissions.
Ainsi, l’Europe perdit ce qui la caractérisait depuis 1990:
un centre politique cherchant le compromis plutôt que les lignes de front.
4.1.0a.8 – La fin silencieuse du centre
En 2014 prit fin l’illusion
que l’Europe pouvait s’élargir sans examen stratégique.
Elle prit fin aussi, l’idée
qu’on puisse construire la sécurité sans la Russie
tout en attendant la paix avec elle.
Le déplacement tectonique commencé en 1999
et devenu visible en 2014
aboutit à une Europe
politiquement fracturée,
stratégiquement incertaine,
et institutionnellement épuisée.
Ce fut la fin de l’ancien centre —
et le début de la crise qui marque encore l’Europe aujourd’hui.