Note 4

ENTRETIEN. « Une lecture féministe des textes religieux est essentielle »

...



photo floriane chinsky, kahina bahloul et emmanuelle seyboldt, respectivement rabbine, imame et pasteure.  ©  marion berrin, les arènes

Floriane Chinsky, Kahina Bahloul et Emmanuelle Seyboldt, respectivement rabbine, imame et pasteure. © Marion Berrin, Les Arènes



L’une a été la première imame de France. L’autre, la plus jeune pasteure. La troisième a guidé des communautés juives à Bruxelles et Amsterdam. Kahina Bahloul, Emmanuelle Seyboldt et Floriane Chinsky ont écrit ensemble le livre Des femmes et des dieux (éditions Les Arènes, 243 pages, 19,90 €), qui défend la nomination de femmes dans les religions. Elles nous expliquent pourquoi.

Les
femmes ministres du culte sont encore rares. Quelles ont été les
réactions quand vous avez été élues à la tête de vos communautés ?

Kahina Bahloul : Au lancement de ma mosquée beaucoup de personnes m’ont dit : «
Ça ne nous dérangerait pas qu’une femme enseigne la religion. Mais
pourquoi aller jusqu’à vouloir être imam et guider la prière ? »

Quand les femmes restent dans le rôle traditionnel que la société
patriarcale leur a assigné tout va bien, mais dès qu’elles osent
revendiquer une autre place, les gens ne comprennent pas.

Floriane Chinsky :
Dans certaines synagogues, des responsables ont essayé de m’enseigner
certaines bases de la tradition juive. Et quand j’ai été rabbine à
Bruxelles, le premier coup de fil que j’ai reçu d’un administrateur,
c’était pour me demander d’aller éteindre la machine à café. D’autres
fois, des personnes m’ont reconnue et m’ont aidée. Je n’oublierai jamais
la personne qui m’a offert mon premier Talit (un châle de prière).

Emmanuelle Seyboldt :
De mon côté, la lutte était avant moi dans l’histoire de mon Église.
Dès les années 1940, une femme est devenue pasteure à titre exceptionnel
et a ouvert la voie pour les autres. Quelque part, je n’ai pas eu
besoin de me battre. Pourtant, quand j’ai été élue en 2017, les membres
de mon Église m’ont envoyé beaucoup de messages de joie parce que oui,
depuis soixante ans les femmes peuvent être pasteures dans l’Église
protestante unie mais, enfin, une femme arrive à la présidence du
conseil national.

« Socialement, culturellement, ce n’était pas acceptable »

Les femmes ont donc déjà exercé des responsabilités religieuses. Est-ce qu’avec le temps, on a eu tendance à les occulter ?

E. S. :
Au début des premières Églises chrétiennes, on le voit dans les textes,
il y a presque autant de femmes que d’hommes en responsabilité. Mais
c’était tellement en contradiction avec le système romain que ça n’a pas
duré dans le temps. La même chose se passe au moment de la Réforme
protestante. Luther dit que chaque chrétien doit pouvoir lire la Bible.
Donc les femmes, comme les hommes, se saisissent de la Bible et se
mettent à prêcher. Mais ce mouvement est de nouveau étouffé parce que
socialement, culturellement, ce n’était pas acceptable.

Vous
expliquez que les femmes ont été exclues parce que les hommes se sont
approprié le discours religieux et l’interprétation des textes. Faut-il
envisager une relecture féministe des textes ?

F. C. :
Faire des lectures féministes des textes est essentiel. Et cela
consiste aussi à mettre en avant les textes qui sont favorables aux
femmes. Par exemple, la Torah donne à voir des femmes incroyables. Comme
au moment de l’oppression en Égypte, quand les accoucheuses, des
sages-femmes, reçoivent l’ordre de jeter dans le Nil tous les bébés
garçons et qu’elles refusent.

K. B. : À partir du
moment où l’on aborde les textes à travers notre sensibilité féminine
et notre expérience, on y trouve une place accueillante pour les femmes.
Lorsque j’entends que la religion a placé la femme au service des
hommes, c’est faux. C’est confondre le système patriarcal avec les
religions. Dans la société du XIe siècle et du début du XIIe siècle (au moment de l’écriture du Coran),
les femmes étaient très discriminées, voire non reconnues. Par exemple,
elles étaient souvent objet d’héritage, au lieu d’être héritières
elles-mêmes. Quand un homme décédait, il pouvait laisser sa femme en
héritage. Il y avait aussi des infanticides de bébés filles. Le Coran
est venu interdire ces pratiques et dire que c’était quelque chose
d’inacceptable.

Un terme anachronique

Finalement, la religion et les textes religieux sont-ils un peu « féministes » avant l’heure ?

K. B. :
Il est vrai que le texte coranique et le message qu’il contient sont
venus redonner un statut social à la femme et lui redonner sa dignité en
tant qu’être humain. Mais je ne sais pas si on peut parler de
féminisme. Ce terme est anachronique car ce concept n’existait pas à
l’époque.

E. S. : Je dirais à la fois qu’on a,
dans les textes, les marques d’une société, et en même temps, on a des
inspirations complètement révolutionnaires.

F. C. :
Pour autant, il ne faut pas oublier que le Talmud et l’ensemble des
textes de loi sont écrits par des hommes, et ce jusqu’à une époque
récente. Cela s’en ressent. D’où l’importance de mettre en avant les
commentaires féminins.

Début novembre 2021, le pape a
nommé une femme à la tête du gouvernorat du Vatican. C’est une première.
Mais toujours pas de femmes prêtres. La religion catholique est-elle en
retard sur ce sujet ?

E. S. : Il n’est
pas question pour moi de critiquer une Église sœur. Simplement, la
conception du prêtre, comme celui qui représente le Christ dans l’Église
catholique, est ce qui bloque tout. Dans le protestantisme, chacun peut
lire la Bible. Il n’y a pas besoin de prêtre pour faire l’intermédiaire
entre Dieu et l’être humain. Le pasteur accompagne seulement. Ainsi,
des femmes peuvent être pasteures. Tant que, théologiquement, l’Église
catholique aura cette conception du prêtre qui représente le Christ
corporellement, elle ne pourra pas avancer. Et c’est terrible parce que
ça lui fait beaucoup de mal, à elle et à ses membres.

« Un système fermé sur lui-même »

Avoir
davantage de femmes à des postes de pouvoir pourrait-il permettre
d’éviter des dérives comme celles dévoilées par le rapport Sauvé ?

E. S. :
Ce qui permet les abus, c’est un système fermé sur lui-même, un système
où un groupe a le pouvoir de décider sans qu’il n’y ait aucun regard
extérieur. Dans ce cas, le groupe est solidaire et va tout faire pour se
protéger. Tout ce qui peut aller dans le sens d’une autorité tournante
ou d’une élection, avec des mandats limités, et des personnes qui ne se
nomment pas mutuellement est une bonne chose.

F. C. :
Comme l’expérience des femmes est beaucoup moins souvent une expérience
d’autorité ou hiérarchique, avoir davantage de femmes permettrait un
fonctionnement plus horizontal. Et celui-ci pourrait empêcher les abus
d’autorité. Cette ouverture de nos cultes aux femmes nécessite aussi de
leur faire de la place et donc de lâcher prise sur le pouvoir.

K. B. : L’histoire de l’humanité nous
l’a bien montré et continue de nous le montrer : on peut voir, partout
dans le monde, sans se cantonner à l’Église catholique, que lorsque la
femme n’est pas reconnue et respectée, les sociétés traversent de grands
malheurs. Je pense à l’Afghanistan notamment. Un grand musulman, Ibn
Arabi, qui a vécu au XII
e siècle, disait d’ailleurs qu’un lieu qui n’est pas empreint de féminité n’est pas fiable.



Propos recueillis par Isabelle HAUTEFEUILLE.   
Ouest-France   


You'll only receive email when they publish something new.

More from André Hamon
All posts